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Simon Boudvin
Obsolètes

Exposition du 17 mai au 16 juin 2012

G.D. Tu as choisi d'appeler cette exposition « Obsolètes ».

S.B. Oui. Tu vois : les avions de Séoul sont doublement obsolètes. Ils ne volent plus, puis les restaurants qui les occupaient ont fermé. Les châteaux d'eau ont été cédés par les communes dès que leur contenance était dépassée par la consommation d'eau ou dès que les structures se dégradaient. Ce qui m'intéresse, c'est de considérer ces legs de la modernité, patrimoine ou déchet, du même regard. C'est une réévaluation permanente de notre héritage qui tantôt nous conforte, tantôt nous plombe. Il faut peu de temps -ou décaler très légèrement notre regard- pour que le capital d'un jour soit estimé comme scorie le lendemain.

 

G.D. Que font les cuves de fuel ici ? Elles n'ont pas été converties comme l'ont été les avions, le château d'eau que tu as photographiés. Elles n'ont subis aucune transformation...

S.B. Ou presque pas : nous sommes allés les chercher ensemble. Elles ont été bouchées, condamnées. C'est déjà beaucoup quand on sait que les gens paient pour s'en débarrasser ! Les cuves de mazout ont servies pendant quelques décennies de réservoirs à combustible dans les maisons, c'est-à-dire de fonds pour le confort domestique moderne. Leur volume reflétait l'autonomie du foyer ou la surface habitable chauffée, leur volume est aujourd'hui importun, un bloc vide encombrant la cave. Un encombrant si polluant qu'on ne peut pas s'en débarrasser facilement. Le capital est devenu toxique.

Leur forme, des cubes en tôle peinte réfère à la sculpture minimale. Des minimalistes américains comme Donald Judd ont aligné des blocs abstraits, géométriques, uniformément peints. Les matériaux et les techniques empruntés à l'industrie étaient à l'époque très innovants, et permettaient de faire oublier toute matérialité de la sculpture devenue une image idéale, conceptuelle, dans l'espace. Les cuves qui sont présentées dans la librairie sont cabossées, sales, rouillées, imbibées de fioul, et toute leur matérialité est devenue le souci de celui qui cherche à s'en détacher.Voilà, ensemble, elles composent à la fois une sculpture documentaire et le pastiche d'une oeuvre d'art minimal.

G.D. Et les billes de billard en vitrine ?

S.B. On y retrouve à peu près le même problème : un décalage entre leur forme idéal et leur matière importune. De simples sphères, une belle surface patinée, le souvenir du bruit de leur entre-choc dans nos têtes, les témoins du massacre d'une faune dans les colonies pour le plaisir des bourgeois de la métropole. D'un point de vue esthétique, elles sont magnifiques et d'un point de vue éthique, gênantes.